La Résistante

En mai 1940, Germaine Tillion rentre en France après sa cinquième mission de chercheuse dans les Aurès. L’invasion de la France par l’armée allemande jette des millions de Français sur les routes, c’est l’exode. Germaine quitte Paris avec sa mère et sa grand-mère : elles atteignent le sud ouest où elles entendent à la radio l’annonce de la défaite et de l’armistice.

Quand la France a été envahie, c’est par instinct patriotique, quasi irraisonné, que j’ai tout de suite fait de la résistance…

voir “Fragments de vies” – p.271

Dans les semaines qui suivent l’armistice, signé le 22 juin 1940 par le maréchal Pétain et le représentant du troisième Reich, Germaine Tillion est d’abord révoltée par cette capitulation devant l’ennemi nazi. 

L’annonce  de la demande d’armistice par le maréchal Pétain tomba sur la France le 17 juin 40 comme un coup d’assommoir… nous nous attendions à tout sauf à une demande d’armistice. Pour moi ce choc fut si grand que je suis sortie dans la rue pour vomir… 

voir “Fragments de vie” – p.124

Très vite Germaine Tillion cherche à résister. Sa rencontre en juin 1940, elle  a alors 32 ans, avec un ancien militaire de 73 ans, Paul Hauet, l’amène d’abord à des actions caritatives auprès de combattants coloniaux, prisonniers, évadés.

L’évadé, il faut l’habiller, il faut le nourrir, il faut le loger et il faut lui faire des faux papiers. Alors nous nous trouvons brusquement obligés d’entrer dans l’illégalité… 

voir “Les trois vies de Germaine Tillion” documentaire réalisé par Gilles Combet  KUIV Production 2001

Ce n’est que dans un deuxième temps que Germaine Tillion va se rapprocher, dans l’hiver 1940-41, de la nébuleuse de sympathisants venus d’horizons très divers, qui constituera « le groupe du Musée de l’Homme »

Quelqu’un m’a demandé pourquoi je m’étais engagée si vite dans la résistance. La question me déconcerta car je ne me l’étais jamais posée. Peut-être que la patrie, comme l’air, n’est perçue que lorsqu’elle manque ?… 

voir “Fragments de vie” – p.126

Cette organisation constituée d’une multitude de groupes autonomes, sans hiérarchie structurée, est d’une grande vulnérabilité. Mais  elle est en France l’un des premiers organismes clandestins de résistants, créé à l’initiative de chercheurs le 14 juin 1940, jour de l’entrée des Allemands dans Paris, avant l’annonce de l’armistice et avant l’appel du 18 juin de de Gaulle.

Germaine Tillion qui multiplie les actions de propagande, d’évasion de prisonniers de guerre, de collectes de renseignements, est victime de la trahison d’un  des membres du groupe, l’abbé Robert Alesch, traître payé par l’Abwehr, le service de renseignement allemand. II dénonçe  l’existence du réseau et les premières arrestations ont lieu en février 1941.

Germaine prend alors le relais de la direction de cette organisation qui portera le nom de « Réseau du Musée de l’Homme ».

Mais à son tour Germaine Tillion est arrêtée le 13 août 1942 à la Gare de Lyon. Le réseau est démantelé et sept de ses membres seront fusillés. 

Elle est envoyée à la prison de la Santé à Paris, puis à Fresnes dans le Val de Marne, deux mois plus tard.

Elle y reçoit le nom de « Kouri » par ses amies et apprend l’arrestation de sa mère.

“… Ma mère était détenue au 1er étage, côté préaux; j’étais en face au 4e étage. À l’heure de la distribution de soupe, quand on ouvrait ma porte, j’essayais chaque jour d’apercevoir la sienne. Le 11 avril, les deux portes se sont ouvertes en même temps, et je l’ai revue pour la première fois : elle me fait signe, elle essaie de sourire, et moi aussi je fais signe et j’essaie de sourire. La surveillante allemande ne me bouscule pas, elle nous laisse un moment très long; elle pleurait en nous regardant. Nous étions encore loin de Ravensbrück… ”

voir “Ravensbrück n° 3” – coll. PointSeuil – p.35-36

Comme elle ne cesse de manier l’humour et l’ironie, le 3 janvier 1943,  elle  adresse aux juges du tribunal allemand, suite à son acte d’accusation, une longue lettre dans laquelle elle tourne en dérision la procédure. 

Messieurs, j’ai été arrêtée le 13 août 1942, vous le savez, parce que je me trouvais dans une zone d’arrestation. Ne sachant encore au juste de quoi m’inculper et espérant que je pourrais suggérer moi-même  une idée, on me mit trois mois  environ à un régime spécial pour stimuler mon imagination. Malheureusement ce régime acheva de m’abrutir et mon commissaire dû se rabattre sur son propre génie, qui enfanta cinq accusations dont quatre sont graves et une vraie… 

voir « Ravensbrück” – Seuil-p.33-37

Le 21 octobre 1943, Germaine est déportée au camp de Ravensbrück à 80 km au nord de Berlin.

Pour mettre sa peur à distance tout en riant de ses malheurs et en continuant à provoquer l’ennemi, elle écrit à Ravensbrück une opérette « Le Verfügbar aux Enfers ».

Une des chansons écrite par Germaine  :

“… On m’a dit « il faut résister »,
J’ai dit oui presque sans y penser,
C'est comme ça qu’dans un train de la ligne du Nord
J'eus ma place retenue à l'œil et sans effort …”

La Déportée

Ce sinistre voyage s’est déroulé en train. Sa captivité  au camp de Ravensbrück va durer un an et demi, du 21 octobre 1943 au 24 avril 1945. 

“Tous ceux, hommes et femmes qui eurent le malheur de connaître un camp de concentration exprimèrent plus tard la perception immédiate et brutale qui précéda pour eux la connaissance détaillée de ce qui les attendait : quelque chose que l’on recevait en pleine gueule, aussi complètement évident que la « devinance » de la mort qui fait hurler les bêtes que l’on va tuer… 

voir “Fragments de vie“ – p.205-206

A 36 ans, Germaine Tillion est classée NN (Nacht und Nebel, nuit et brouillard), personne accusée de sabotage et de résistance, représentant un danger pour l’armée allemande, condamnée à disparaître sans laisser de trace. Elle réagit en résistante et en ethnologue.

… À Ravensbrück même, j’ai essayé de reconstituer tout le système des camps. À partir de ce qui m’était dit, à partir de bribes cueillies ici ou là. Je voulais comprendre, c’est tellement important de comprendre ce qui vous écrase. C’est peut-être cela qu’on peut appeler « exister »

voir “Combats de Guerre et de Paix” – p.43

Si elle essaie de se soustraire le plus possible au travail, elle ne peut pas échapper au quotidien du camp, aux appels, à la faim, la maladie, l’épuisement, l’absence d’hygiène ni au désespoir en apprenant la mort de sa mère Émilie, gazée à Ravensbrück en mars 1945. 

“ … Ces appels étaient excessivement longs et il était absolument impossible aux SS de contrôler le silence total de milliers, de dizaines de milliers de femmes debout, en rang, par rangs de 10. J’avais alors beaucoup de camarades qui essayaient de se mettre à côté de moi pendant l’appel parce que je leur racontais des histoires, et c’était ça qui leur permettait de tenir…  ”

voir “L’enfant de la rue et la dame du siècle” – p.154

Surmontant sa peur elle multiplie les actes de résistance dans le camp : mots passés secrètement par des codétenues, pellicule photo de femmes – victimes d’expériences pseudo-médicales – sortie du camp, cachée dans ses haillons, recettes de cuisine comportant en acrostiches* les noms des nazis responsables du camp.

* Un acrostiche est un poème ou une strophe dont la première lettre de chaque vers lue verticalement de haut en bas compose un mot ou une expression en lien avec le poème.

Pour aider ses camarades à « tenir », elle compose même une opérette « Le Verfügbar aux enfers » qui décrit, comme un naturaliste  observerait des insectes, la condition de Verfügbaren c’est-à-dire de détenues disponibles et corvéables à merci, non affectées à un commando de travail ; 

“… Ce furent toutes les Verfügbaren (prisonnières disponibles) françaises qui devinrent débardeurs ou débardeuses dans le commando de déchargement des trains, et c’est là que, cachée dans une caisse d’emballage par mes camarades NN, j’ai écrit une revue en forme d’opérette appelée « le Verfügbar aux enfers » … ”

voir “Fragments de vie” – p.212

Dans cette oeuvre Germaine fait preuve d’un humour décapant et d’une sagesse exceptionnelle :

“… J’ai écrit une opérette, une chose comique, parce que je pense que le rire, même dans les situations les plus tragiques, est un élément revivifiant. On peut rire jusqu’à la dernière minute…”

voir extrait du film de David Unger “Germaine Tillion à Ravensbrück : « Le Verfügbar aux enfers »” (58mn – 2008-prod. Ciétévé/Arte)

Dans le même temps  elle analyse la structure du camp pour en comprendre sa logique et son fonctionnement, pour déchiffrer ce terrible univers afin de survivre, de lutter contre la folie et le désespoir. Ces observations et celles de ses codétenues donneront son livre « Ravensbrück » publié en 1946 ; cet ouvrage majeur sera complété au fil des années par des enquêtes et une analyse approfondie du système de concentration.

… J’appris sur le crime et les criminels, la souffrance et ceux qui souffrent, la lâcheté et les lâches, sur la peur, la faim, la panique, la haine, des choses sans lesquelles on n’a pas la clé de l’humain, car tout cela, à l’état de larve, rampe dans n’importe quelle société, mais on n’apprend à l’identifier que lorsqu’on a regardé longuement la bête adulte, épanouie dans sa peau…

voirFragments de vie” – p.179

Toute sa vie, elle cherchera à comprendre :

Dans les jours qui suivirent notre libération par la Croix-Rouge suédoise j’ai pensé d’abord, intensément et désespérément, au gouffre… Toute cette désespérance, exténuante, torturante recherche de la vérité dans les faits matériels, s’orchestrait sur une autre, aussi obsédante, aussi dramatique, qui était celle des causes…

voir “Fragments de vie” –  p.245

Jusqu’au moment de sa libération par la Croix-Rouge suédoise, avec ses camarades NN, elle continua à résister lors des fouilles. 

“ … Deux « objets » clandestins plus remarquables que les autres échappèrent ainsi au contrôle : deux bébés français, les seuls survivants…” 

dans “Ravensbrück n°3” – coll.Point Seuil – p.32

Germaine Tillion entreprendra tout au long de sa vie de  reconstituer l’itinéraire des femmes déportées à Ravensbrück, long travail motivé par le souci de témoigner et de garder une trace de destins brisés avant qu’ils ne sombrent dans l’oubli.

… Si j’ai survécu je le dois, d’abord et à coup sûr, au hasard, ensuite à la colère, à la volonté de dévoiler ces crimes et, enfin à une coalition de l’amitié car j’avais perdu le désir viscéral de vivre …

voir “Ravensbrück n°3” – coll. Point – p.33

Réalisé entre 1943 et 44, cet écusson a été offert à Germaine Tillion par Marguerite Flamencourt à Ravensbrück. On y voit une scène quotidienne d’appel. On peut admirer la beauté des couleurs et du travail d’aiguille. Le chiffre indiqué est le numéro de matricule de Germaine Tillion 24588. Dans un contexte où tout est fait pour déshumaniser les déportées, il démontre que le système concentrationnaire ne parvient pas à briser la « coalition de l’amitié ».

Le Musée de la Résistance et de la Déportation
de Besançon

Alors que les archives de Germaine Tillion ont été confiées à la Bibliothèque Nationale de France à Paris, toutes celles relatives à Ravensbrück et à la déportation ont été léguées au Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon. 

Ces archives comportent des objets et manuscrits exceptionnels comme l’original de l’opérette «Le Verfügbar aux enfers» que Germaine Tillion avait réussi à écrire cachée dans une caisse, ou les recettes de cuisine farfelues qu’elle et ses compagnes avaient inventées et qui comportaient un sens caché : les noms des criminels nazis du camp. Un écusson, brodé par une codétenue, en fils de couleur et avec le N° matricule de Germaine Tillion ; un foulard brodé très finement, avec les noms de tous les lieux d’origine des déportées ; des dessins ; des objets, etc.

Elles comprennent aussi toutes les archives, toutes les réponses de plus d’un millier de détenues, rescapées des camps de Ravensbruck et de Treblinka qui avaient répondu aux questionnaires envoyés par Germaine Tillion pour réaliser son étude historique et sociologique sur le système concentrationnaire mis en place par les nazis dans les camps .

Ces pièces ont été réunies et doublées de fichiers par numéros matricule et nominatifs de l’ensemble des femmes déportées de France (sauf les déportées juives), à partir de diverses sources : registres d’écrous des prisons françaises et allemandes, registres de Ravensbrück, listes du Ministère des Anciens combattants, listes dressées par les déportées elles-mêmes (par exemple au revier). Ce fonds, résultat également d’une enquête lancée par régions, est complété par des dossiers individuels contenant des témoignages, de la correspondance, des poèmes… L’ensemble de ce fonds a été déposé en 1995 au Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon, à l’initiative de la franc-comtoise Anise Postel-Vinay, résistante et grande amie de Germaine Tillion avec qui elle a partagé l’épreuve de la déportation à Ravensbrück. Le Musée s’efforce de poursuivre le travail de conservation de ce fonds, de le porter à la connaissance des chercheurs et de le faire connaître du grand public.

C’est dans ce cadre qu’un partenariat privilégié s’est établi entre le Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon et l’association franc-comtoise : À la Rencontre de Germaine Tillion

Nous ne pouvons que vous conseiller de consulter le site du Musée :
site internet du Musée de la Résistance et de la Déportation


Nous souhaitons remercier chaleureusement nos partenaires