Exposition de photographies “Un village dans les Aurès : Nouader 1958-1960” de Claude Cornu

2 novembre 2009 - Expositions

Cette exposition est constituée de photographies prise dans un village des Aurès (région montagneuse de l’Est de l’Algérie) entre 1958 et 1960, c’est-à-dire en pleine guerre avec la France. Ces clichés d’un jeune soldat qui deviendra plasticien sont accompagnées de dessins et de gouaches qui en font un ensemble unique, véritable  » instantané  » ethnographique d’une civilisation chaouie en train de disparaître.
L’exposition a été présentée à Besançon à trois reprises en 10 ans :
. en 2009 au Centre culturel Nelson Mandela
. en 2011 dans les Bibliothèques Universitaires
. et en 2019, entre mars et juillet, à la Galerie de l’Ancienne Poste, au Foyer des Jeunes Travailleurs Les Oiseaux et à nouveau au Centre Mandela 10 ans après.

Voici ce qu’en dit Nelly Forget, qui participait à la même époque aux Centre Sociaux, initiés en Algérie par Germaine Tillion, et qui a bien connu cette dernière :

Les photos que Claude Cornu a prises à Nouader entre 1958 et 1960 auraient pu l’être vingt ans plus tôt par Germaine Tillion qui avait vécu et circulé en Algérie dans le même massif des Aurès, à la fin des années 30. Dans les clichés de l’un et de l’autre, on retrouve les mêmes impressionnantes maisons de pierre, les mêmes sentiers escarpés, les mêmes pieds nus ou chaussés arpentant ces sentiers, les mêmes regards confiants, les mêmes sujets se livrant sans réticence à l’objectif. Sa grande devancière, sillonnait en ethnologue au pas de son cheval un pays en paix, au rythme des mariages, des circoncisions ou des pèlerinages, principaux événements qui scandaient alors la vie de la tribu dont elle avait choisi de partager l’existence plusieurs années durant.

Claude Cornu n’avait pas choisi, lui, d’avoir 20 ans dans les Aurès et d’y faire la guerre. Mais en revêtant l’uniforme des appelés, il s’était juré de ne jamais tuer.

Les circonstances l’aidèrent à tenir cet engagement. A Nouader, au camp militaire français, en contre-bas du village chaouï de Nouader, il fut d’abord affecté à des tâches administratives, puis, après des escapades réitérées au bord de l’oued pour y rencontrer les plus accessibles des habitants, les enfants, il reçut l’ordre de mettre en oeuvre ce pour quoi il avait d’abord été sanctionné : s’occuper des enfants en leur faisant l’école.

Voici donc les fillettes et les garçonnets qu’il eut pour élèves pendant deux ans. Les voici à la sortie de la modeste bâtisse qui leur servait de salle de classe, les voici dans les champs où ils aident au labour ou gardent les bêtes, dans les rues du village dont l’étagement audacieux se dessine en arrière-plan, sur les chemins de l’école à la maison, et bientôt les voilà à l’intérieur des maisons dont peu à peu, les portes se sont ouvertes.

Alors apparaissent les femmes, elles qui d’habitude s’enfuyaient pour se cacher à l’approche des militaires. Dans leurs travaux quotidiens, à la maison ou dans les champs, elles se montrent sérieuses ou rieuses, moqueuses même, complices en tout cas de celui qui les photographie. Les connaisseurs souligneront la valeur des clichés, la pertinence de leur cadrage, et leurs autres qualités techniques. Ce qui domine de mon point de vue et m’émeut aux larmes, c’est la qualité des relations humaines dont témoignent ces photos prises dans un contexte de guerre qui aurait dû engendrer méfiance et contrainte, peur et hostilité, soupçon et dissimulation. Or aucun cliché n’apparaît capté à la dérobée. Tous les sujets sont pris frontalement, regardant sans gêne celui qui les « mitraille », prenant parfois la pose – ce qui a été indispensable pour les croquis et les gouaches qui complètent la collection – et offrant le plus souvent un large sourire, celui de la confiance.

Quelle confiance il a fallu à Claude Cornu pour s’aventurer sans protection dans des endroits réputés dangereux à juste titre et où ses compagnons d’armes n’imaginaient pas aller autrement qu’en commandos.(il était accompagné, il est vrai, par les meilleurs des ambassadeurs, les enfants). Quelle confiance lui a été faite par le village pour lui confier précisément ses enfants (90 inscriptions dès le 1er jour de classe!), pour le laisser circuler partout, entrer dans les maisons, participer aux fêtes familiales, au risque d’introduire un espion dans leur intimité.

Cinquante ans plus tard, Claude Cornu s’interroge sur le bilan de ces deux années « Je me suis toujours demandé ce que ce court apprentissage avait pu leur apporter. Nouader m’a sans doute oublié ». La réponse lui vient, grâce à Internet qui lui a permis d’envoyer à Nouader les photos que vous allez admirer à votre tour.

“Ce ne sont pas de simples photos. C’est un trésor!” Elles ont fait “événement à Nouader” et alimentent “le discours public; ; on ne cesse de parler de vous”.

Pas seulement ceux qui furent ses élèves, mais aussi leurs descendants : ”La mémoire a été transmise. Ils ont fait entendre à toute la génération venue après, celle qui pianote sur l’ordinateur et qui sert de relais. “Le 2ème à droite, sur la photo de classe des moyens et des petits, c’est mon frère aîné qui était à l’époque un de vos élèves…Même mon oncle est présent sur l’aire de battage… Ici, c’est Louiza, la tante de ma femme. Et Bahia, et Srrira et Khadidja”…. Claude Cornu n’a pas photographié des prototypes anonymes d’élèves chaouïs ; chaque portrait porte un nom, celui d’une personne qui aujourd’hui peut regarder sans déplaisir l’image de son passé.

“Venez nous visiter. Tu vivras des moments intenses. J’espère que vous m’accepterez comme ami. Car votre coeur blanc(pur) a choisi la paix et la liberté”.

A la prière d’Abraham-Ibrahim, un seul juste a suffi pour sauver Sodome. Merci Claude Cornu.

À partir du fond documentaire constitué par les photos et œuvres plastiques de Claude Cornu a été réalisé en 2018 un livre édité par la SOFRABER, maison d’édition franco-berbère dont le siège réside en Franche-Comté (Velle-le-Chatel, près de Vesoul).
Ce livre s’intitule « Inurar-Nouader, village des Aurès – Sur les pas de Germaine Tillion » : il raconte l’histoire de celui qui n’avait pas choisi d’avoir 20 ans dans les Aurès…


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